Il est de ces missions qui vous « prennent aux tripes » et vous marquent à jamais : des missions d’urgence très médiatisées à la suite de catastrophes naturelles causant moult victimes (elles se sont multipliées pour notre ONG au fil des années : Sumatra, Pakistan, Haïti, Philippines, Népal…) ; et des « missions silencieuses », même si l’urgence existe — une urgence humanitaire et sanitaire due à des flux migratoires devenus incontrôlables qui touchent aujourd’hui un septième de l’humanité…[1]
Obock, Djibouti, été 2018.
Un binôme médical de Pompiers de l’urgence internationale[2] a été envoyé sur place pour prêter main forte à l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) mandatée par les Nations Unies. Notre mission : accueillir avec un soutien médical et sanitaire, les réfugiés venus d’Éthiopie, en route vers le Yémen puis l’Arabie Saoudite (et dans une moindre mesure, ceux en provenance du Yémen).
Certains ont parcouru presque 1000 kilomètres à pied, avec ou sans l’aide de passeurs, avec — et bientôt sans — réserves d’eau potable. À l’arrivée, ils sont hagards et déshydratés. Sur 15 arrivants par jour en moyenne, l’on recense plus de 5 cas de déshydratation aiguë. Alors, telle une intervention de pompiers impliquant de multiples victimes, l’on s’évertue d’abord à trier : les personnes souffrant de déshydration d’un côté, celles atteintes de diarrhée de l’autre. Les kits de diagnostic rapide du choléra sont périmés ; perfusions et solutés sont les traitements à notre disposition, mais aussi et surtout de l’eau potable, en grandes quantités.
Le camp de réfugiés est construit « en dur », avec des tentes et des lits, ce qui simplifie la ségrégation et la médicalisation des malades. Pour autant, l’on manque sévèrement de médecins et/ou d’infirmiers. Les journées sont longues par une chaleur écrasante (44 degrés à l’ombre avec des vents de sable), il faut éviter la contamination. Les personnes préposées au nettoyage des tentes nettoient sans relâche excréments et vomissements. Les cuisiniers s’évertuent à faire reprendre des forces aux réfugiés. Dans le camp, solidarité et respect sont les mots d’ordre.
En l’intervalle de 2 semaines, nous avons recueilli plus de 150 réfugiés. Parmi les plus malades, certains voués à une mort imminente à leur arrivée, peut-être pouvons-nous nous targuer d’avoir sauvé quelques dizaines de vies… Nous avons aussi assisté au rapatriement de 140 migrants vers l’Éthiopie. Quoi qu’il en soit, il y a des morts aussi, beaucoup de morts — trop de morts : 5 % des malades environ selon les estimations des 6 derniers mois, un chiffre qui ne devrait pourtant pas dépasser les 1 %.
Sur le chemin du retour en direction de l’aéroport, nous croisons d’autres réfugiés sur la route auxquels nous offrons nos dernières bouteilles d’eau. Parmi eux, un jeune homme d’environ 18 ans — mourant. Il n’a plus la force de parler. Nous lui prodiguons tous les soins possibles mais sans pouvoir l’emmener (notre chauffeur craignant d’être accusé de passeur) et sans savoir, hélas, si ces soins suffiront à lui sauver la vie. Son regard, lui, nous hantera pour toujours…
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